Droit des femmes au Liban : encore beaucoup de chemin à parcourir avant d’atteindre l’équité
jon-tyson-HxLrVD55l34-unsplash

Le statut de la femme au Liban

Femmes et libanaises,
avancées partielles et pesanteurs traditionnelles

Conférence sur Zoom le 17 novembre 2021
Par Nada Nassar-Chaoul
Professeur à la Faculté de
Droit
et des Sciences politiques
de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth

Je tiens tout d’abord à remercier l’Association « Change Lebanon » en la personne de Dr. Ghada Hatem, de son Président M. Karim Hatem et de tous ses membres pour le travail solidaire précieux qu’elle effectue en faveur de notre pays, si éprouvé ces deux dernières années, et surtout pour sa foi dans la possibilité de changement au Liban -changement des mentalités et changement des pratiques- concrétisée par le beau nom qu’elle s’est choisi : « Change Lebanon ». 

Je vous remercie ensuite pour votre confiance – que je dois d’abord, je le sais, à ma collègue juriste et amie de toujours Marie Sfeir-Slim- confiance qui va me permettre d’exposer en des termes, je l’espère, clairs et, autant que possible, éloignés du jargon juridique technique qu’affectionnent habituellement les juristes, l’état actuel du statut des femmes au Liban. 

Sur un plan méthodologique, il est impossible de parler en Droit libanais, (comme on le ferait en Droit français par exemple), du statut de LA femme, il faudrait plutôt parler du statut DES femmes, puisqu’il existe autant de règles distinctes que de régimes communautaires de statut personnel, la demande de la société civile pour un statut personnel unifié n’ayant pas encore abouti. Il faut donc prendre acte de l’éparpillement et de l’éclatement des diverses règles juridiques applicables aux femmes en Droit libanais, sachant qu’il existe actuellement 19 communautés religieuses officiellement reconnues. Il existe cependant des lois civiles applicables tantôt -par défaut- à des groupes communautaires déterminés (par exemple, la loi civile du 23 juin 1959 sur les successions (cad l’héritage) applicable aux seuls non-musulmans), tantôt à tous les citoyens libanais (par exemple, la loi no 293/2014 du 7 mai 2014 pour la protection des femmes et des autres membres de la famille contre la violence domestique).

J’opterai au cours de cette intervention pour une approche que je qualifierai de socio-juridique, la société avec ses rites et ses pratiques, sa culture en somme (que nous dénommons, nous juristes, la coutume), précédant toujours le Droit. En effet, même s’il arrive, assez rarement, que le législateur joue le rôle d’un pionnier du changement, généralement, il n’intervient  qu’à posteriori afin de consacrer les règles sur lesquelles existe un consensus en société, de les exprimer de manière intelligible, de les organiser et de réglementer la vie en commun pour le bien de tous. D’où l’importance d’une approche sociologique dynamique de la question des femmes, à côté de l’approche technique juridique classique.

 

Généralités

Les femmes ont obtenu le droit de vote au Liban en 1953, avant la Suisse dit-on qui ne l’a obtenu qu’en 1971. En 1969, la magistrature accueillait la première femme juge, en 1974, la femme libanaise a obtenu le droit de voyager sans l’autorisation de son mari et en 1994 (Loi no 380 du 4 novembre 1994) celui de pratiquer le commerce sans son autorisation. En 1996, en vertu de la loi no 572/96, le Liban a ratifié la Convention CEDAW sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, tout en émettant des réserves en ce qui concerne le statut personnel et l’octroi de la nationalité aux enfants. Il existe depuis 1998, une Commission nationale de la femme libanaise œuvrant à la mise en place de mécanismes nationaux pour améliorer le statut des femmes.

 

1. Vie privée

 

 

1.1. Avancées partielles

Grâce au militantisme sans relâche des associations féministes (notamment l’association « Kafa » (Ca suffit) et de certaines juristes (saluons ici le travail remarquable effectué par une pionnière, feue l’avocate Laure Moghaizel), grâce aux pressions exercées par la société civile et relayées par la Thaoura depuis octobre 2019, et avec l’appui des organismes internationaux, onusiens surtout, et des ONG œuvrant pour les droits humains et pour l’amélioration du statut des femmes, on a pu enregistrer au Liban, au fil des années, certaines avancées au niveau de la vie privée des femmes. Citons les principales, appartenant au champ du droit pénal :

a-Crime dit « d’honneur » :

Ce crime, qualifié à juste titre par feue Laure Moghaizel de « crime de déshonneur », permettait à un homme qui découvrait son épouse, sa fille, sa sœur, ses ascendantes (sa mère ou même sa grand-mère !) avec un homme dans une situation dite « suspecte » « mouriba », de la tuer afin de laver son honneur, tout en bénéficiant d’une excuse absolutoire, cad qu’il était exonéré de toute sanction (art. 562 du Code pénal). En 1999, une première réforme ne lui a plus accordé que des circonstances atténuantes, avant qu’une loi du 5 août 2011 n’abroge purement et simplement ledit crime d’honneur. Depuis, n’ayant plus aucune spécificité et ne bénéficiant plus d’aucune faveur, ce crime est retombé dans le droit commun des actes criminels et est devenu assimilé à tout autre acte criminel et puni des mêmes sanctions. 

b-Adultère : 

L’adultère est toujours considéré en Droit libanais comme un délit sanctionné par le Code pénal d’une peine d’emprisonnement allant de trois mois à deux ans, et cela contrairement aux législations modernes qui l’ont dépénalisé. Auparavant, ce Code était particulièrement machiste puisque l’adultère de l’épouse était puni, quelles que soient les circonstances, d’une peine d’emprisonnement de trois mois à deux ans, alors que l’époux n’était sanctionné que s’il commettait l’adultère dans le domicile conjugal ou s’il entretenait une concubine de manière notoire, et cela seulement d’une peine d’emprisonnement d’un mois à un an. Un progrès a été cependant enregistré en matière d’adultère par la loi no 293 du 7 mai 2014 qui a institué une sorte d’« égalité » dans l’adultère en imposant aux deux époux une même peine en cas d’adultère.

c-Viol :

Il est à noter l’abrogation par une loi du 16 août 2017 de l’article 522 du Code pénal qui permettait au violeur d’échapper à toute sanction s’il épousait sa victime. De plus, l’article 3 de la loi du 7 mai 2014 reconnaît le délit « d’usage de violence ou de menaces morales, sexuelles ou économiques exercées visant à forcer l’épouse à avoir des relations sexuelles », ce qui constitue une forme -même atténuée- de consécration et de sanction du délit de viol conjugal.

d-Harcèlement sexuel :

En décembre 2020, une loi criminalisant le harcèlement sexuel, qu’il soit verbal, physique, ou qu’il s’agisse de cybercriminalité, a été adoptée par le Parlement libanais. Les peines prévues sont de 1 à 12 mois de prison et une amende de 3 à 10 fois le salaire minimum (actuellement de 675000LL). Elles sont alourdies si le harcèlement est exercé contre un mineur, une personne handicapée ou sur le lieu de travail, domaine privilégié, comme on le sait, d’exercice du harcèlement sexuel.

e-Violences domestiques :

La loi no 293 promulguée le 7 mai 2014 vise la protection non seulement des femmes, mais aussi des autres membres de la famille, contre la violence domestique. Cela s’effectue grâce, d’une part, à une définition élargie de la violence domestique incluant l’omission de certaines obligations et la menace et à une définition tout aussi élargie du préjudice, incluant non seulement les atteintes corporelles et sexuelles, mais aussi le préjudice psychologique et même économique. Cela s’effectue, d’autre part, grâce à un dispositif moderne de protection : désignation d’avocats généraux dans chaque mohafazat afin de recevoir les plaintes des victimes, mise en place d’enquêtes faisant appel à des assistants sociaux, création d’une unité spécialisée dans la violence familiale auprès de la Direction générale des F.S.I. (équivalents des CRS) comprenant des femmes formées à la résolution des conflits, soumission par le juge de l’agresseur à des programmes de réhabilitation dans des centres spécialisés, interdiction temporaire d’accès de l’agresseur au domicile familial ou séquestration de celui-ci, mesures spécifiques de protection et de mise à l’abri des victimes en cas de danger imminent avec, en cas de besoin, prise en charge des soins médicaux et hospitaliers requis par leur état, mesures de protection du domicile familial et de son contenu, information de la victime de ses droits, dont celui de se faire assister par un avocat, création d’un fonds spécial d’aide et de soutien aux victimes de la violence domestique, etc. Dans cette foulée, une ligne verte (hotline) a été mise en place par les FSI afin de recevoir les plaintes des victimes ou même des témoins de violences domestiques. 

Malheureusement, le dispositif protecteur de la loi de 2014 est mis en échec par l’article 22 de cette même loi qui réserve les règles de statut personnel des diverses communautés religieuses ainsi que les règles de compétence de leurs tribunaux. En termes plus clairs, si l’une des dispositions de la nouvelle loi est déjà réglementée par des textes communautaires ou si elle relève de la compétence de leurs tribunaux, ce sont ces derniers qui prévalent. Donc, en pratique, la loi civile contre la violence domestique n’a qu’un rôle subsidiaire et résiduel, les textes et les tribunaux communautaires se situant, en pratique, hiérarchiquement au-dessus d’elle et, bénéficiant d’une compétence exclusive, ils peuvent, le plus légalement du monde, la mettre en échec. Comme c’est souvent le cas en Droit libanais, on ôte d’une main ce que l’on donne de l’autre !  

 

 

1.2. Pesanteurs traditionnelles

Elles sont le reflet d’une société patriarcale dans laquelle la femme  passe de l’autorité de son père avant le mariage à celle de son époux après celui-ci.

a-Inégalité successorale :

Une tentative d’unifier le droit successoral libanais pour toutes les communautés, déjà amorcée à l’époque du Mandat, a été poursuivie après l’Indépendance avec le projet de loi déposé à la Chambre par le décret no 16198/K du 7 septembre 1949. Elle a donné lieu à plusieurs griefs de la part des autorités religieuses musulmanes tenant d’une part, à une possible modification des règles du Chareh d’essence divine et d’autre part, au fait que le projet dépouillait les tribunaux Charhi de leur compétence juridictionnelle au profit des tribunaux civils (sachant que les juges des tribunaux musulmans sont des fonctionnaires de l’Etat libanais, touchant leurs émoluments de celui-ci, ce qui n’est pas le cas des religieux des divers tribunaux chrétiens). De ce fait, la loi civile du 23 juin 1959 qui a instauré la règle fondamentale de l’égalité successorale entre l’homme et la femme n’est applicable, en droit positif, qu’aux non musulmans (cad les chrétiens et les israélites, communauté reconnue au Liban). Ainsi, depuis 1959, les chrétiens ne sont plus soumis à la célèbre règle du Chareh selon laquelle « En ce qui concerne vos enfants, Dieu vous prescrit d’attribuer au garçon une part égale à celle de deux filles » « Wa lil zakar mithla hazz al ounthayayn » (Sourate IV, Les femmes-An-Nissa, verset 11). Par contre, la femme musulmane, quelle que soit sa place dans la famille, épouse, sœur, fille ou autre ne reçoit que la moitié de la part successorale de l’homme. A cette discrimination, vient s’ajouter la règle selon laquelle, en droit hanafite, cad dans la communauté sunnite, en l’absence d’un héritier mâle, la fille ne reçoit que le tiers de l’héritage de son père, le reste allant à la branche mâle de la famille. Cela n’est toutefois pas applicable à la communauté chiite dans laquelle la fille peut recevoir la totalité de l’héritage de son père, même en l’absence d’héritier mâle. Cela explique, sur un plan sociologique, le nombre assez élevé de conversions au chiisme (environ 350 familles sunnites par an) afin de faire échapper leurs filles à ce sort inéquitable. 

b-Discriminations liées au mariage :

b.1-Conditions du mariage :

*L’âge légal du mariage : 

Il relève du Droit de chaque communauté qui ne le fixe pas toujours dans ses textes, ce qui donne lieu à des mariages précoces (6% des femmes étant mariées avant l’âge de 18 ans, le fléau touchant surtout les réfugiées syriennes mariées de force pour des motifs économiques). Les associations féminines ont effectué de nombreuses campagnes de sensibilisation sur le sujet, déposant depuis plus de trois ans un projet de loi civile unifiée fixant l’âge du mariage pour tous les Libanais, garçons et filles, à 18 ans, motivé par la nécessité d’harmoniser la législation libanaise avec la Convention de New-York sur les droits de l’enfant du 3 septembre 1990 ratifiée par le Liban en 1991. Si ce projet gît toujours dans les tiroirs de l’Assemblée, les pressions semblent avoir porté des fruits -même partiels- puisque Dar El Fatwa, la plus haute instance religieuse sunnite, vient de prendre, le 22 avril 2021, une mesure fixant l’âge minimum du mariage à 18 ans, avec toutefois des exceptions permettant le mariage à 15 ans, à condition d’exhiber des rapports favorables de médecins, de psychologues et de juges, ce qui est regrettable et ouvre la porte à de possibles dérives.

*Les formes du mariage : 

-Monogamie et polygamie : Le mariage polygamique (4 épouses) est toujours de droit positif en droit musulman, même s’il a beaucoup diminué en nombre du fait de l’évolution des mœurs et des pressions économiques, surtout dans les zones urbaines. Par contre, il est parfois utilisé comme instrument de fraude à la loi par des chrétiens mariés qui se convertissent à l’Islam afin d’assurer à leur maîtresse un statut légal. A noter toutefois que les tribunaux ecclésiastiques chrétiens refusent ce détournement abusif et continuent à accorder au premier mariage chrétien tous ses effets. La même position de protection de la première famille sur le plan successoral est généralement adoptée par les tribunaux civils libanais sur la base légitime de l’adage « fraus omnia corrumpit » ou la fraude corrompt tout.

-Mariage civil : La possibilité facultative de se marier civilement au Liban, sans avoir à recourir à un voyage à l’étranger (Chypre le plus souvent, ou la France) est considérée comme un moyen pour la femme libanaise d’échapper aux règles discriminatoires des divers statuts personnels communautaires et à l’application de celles-ci par des juges religieux, souvent peu formés à la résolution des conflits conjugaux et dont la mentalité peut manquer de modernité. Elle est aussi un droit civil fondamental, celui de la liberté de conscience, consacré par la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 et par l’article 9 de la Constitution libanaise. En Droit, cette faculté se fonde, par analogie, sur la possibilité, pour les Libanais, de se marier civilement à l’étranger, ce mariage étant expressément reconnu au Liban (article 25 de l’Arrêté 146L/R) et relevant, quant à ses effets, de la loi étrangère de célébration, ce qui permet, en cas de divorce, le recours aux tribunaux civils libanais. Une première tentative a eu lieu en 1998 avec le projet de mariage civil facultatif, dit « Projet du Président Elias Hraoui », dont le texte de loi avait été transmis au Parlement, avant qu’un tollé émanant de toutes les autorités religieuses, tant musulmanes que chrétiennes, ne l’enterre définitivement. Les militants du mariage civil ont cependant poursuivi leur combat et, forçant le régime juridique en vigueur et les coutumes sociales et religieuses et exerçant ce qu’on a pu appeler « une pression du fait sur le Droit » selon le mot du Professeur Marie-Claude Najem, des couples ont contracté des mariages – forcément et fortement médiatisés- devant notaire au Liban, en ayant au préalable biffé la mention de leur communauté de leurs documents d’état-civil. Après le premier de ces mariages, celui de Nidal et Khouloud -mixte comme c’est souvent le cas- c’est le mariage de deux juristes de haut niveau Abdallah Salam et Marie-Joe Abi-Nassif qui a fait la une, en raison de leur long combat depuis deux ans pour faire inscrire leur acte notarié de mariage sur les registres de l’état-civil. Dernièrement, le Ministère de la Justice dirigé par la juriste Marie-Claude Najem a émis deux lettres confirmant la validité des mariages conclus devant notaire et de leur inscription sur les registres d’état-civil, renvoyant ainsi la balle dans le camp du Ministère de l’Intérieur.  

Il n’est pas nécessaire, il me semble, d’exposer, dans ce cadre, les détails de la polémique relative à la validité ou pas de l’acte de rayer sa communauté de l’état-civil que je considère, pour ma part, comme juridiquement valable, (Pour une étude exhaustive de la question, voir Nada Nassar Chaoul, « Du mariage civil célébré au Liban », Travaux et Jours, no 95, Automne 2019). Cette question préliminaire résolue, il n’en demeure pas moins que de nombreux arguments juridiques s’opposent à la validité du contrat célébré devant notaire au Liban, deux textes l’un applicable aux communautés chrétiennes (l’article 16 de la loi du 2 avril 1951) et l’autre aux communautés musulmanes (l’Arrêté 53/LR du 30 mars 1939) le déclarant purement et simplement nul. De plus, le notaire libanais ne possède pas de compétence de célébration du mariage, sa compétence matérielle étant limitée par la loi no 337 du 8 juin 1994 règlementant la profession notariale aux actes et contrats prévus par le Code des obligations et des contrats dont le mariage ne fait évidemment pas partie. Enfin, il faut noter que le mariage n’est pas un simple contrat, il est aussi une institution dont l’Etat, dans tous les systèmes juridiques du monde, règlemente les effets sur la filiation, l’autorité parentale sur les enfants mineurs et leur garde en cas de dissolution du mariage, le régime matrimonial et les successions. De ce fait, il est nécessaire pour le législateur de fixer la loi applicable au mariage qui ne peut dépendre du libre choix par les parties de la loi qui leur convient. 

On peut conclure de tout ce qui précède que le mariage célébré devant notaire au Liban relève de « l’aventurisme juridique » et que seule une intervention législative règlementant le mariage civil facultatif pourrait régler le problème en assurant aux femmes un statut matrimonial conforme aux droits humains et aux exigences de la vie moderne ainsi que la prévisibilité et la sécurité juridiques requises.

b.2-Obligations et droits de la femme au cours du mariage :

*Vie commune : L’inégalité dont souffre la femme est patente dans le Chareh musulman qui dispose que le mari doit vivre en harmonie avec son épouse et lui témoigner de la bienveillance, alors que l’épouse, elle, est soumise aux devoirs d’obéissance et de fidélité. 

*Rapports d’argent : Persistance d’une mentalité traditionnelle, l’obligation d’entretenir l’épouse incombe, en principe, à l’époux tant chez les communautés chrétiennes que chez les communautés musulmanes. C’est seulement si l’époux est dénué de ressources et l’épouse aisée qu’elle devra assumer elle-même, chez les communautés chrétiennes, les frais d’entretien du ménage. Toutefois, il faut relever une règle très pertinente et protectrice des femmes, issue du droit musulman, qui est celle de la séparation totale des biens entre époux en Droit libanais. En effet, la notion de régime matrimonial et de contrat de mariage fait chez notaire avant l’union n’existe pas au Liban, ce qui implique une autonomie financière complète de l’épouse par rapport à son époux. Il en résulte que les biens acquis par elle, de ses propres deniers, au cours du mariage, lui appartiennent à elle seule, seuls les biens acquis en commun étant dans l’indivision.

b.3-Effets de la dissolution du mariage sur les droits de la femme :

*Répudiation : La persistance dans le Chareh musulman du pouvoir de répudiation unilatérale accordé à l’époux en prononçant les paroles d’usage, sans besoin de justification ou de recours à une procédure judiciaire quelconque, confine l’épouse dans une situation de sujétion. Elle est toutefois tempérée par le droit de « eesmat » ou « répudiation anticipée » qui peut être demandé par la femme avant le mariage pour le cas où le mari déciderait de prendre une autre épouse.

*Annulation du mariage : Dans le mariage catholique, le divorce est exclu, la seule solution étant le recours à l’annulation du mariage (cad qu’on considère qu’il n’a jamais eu lieu en raison d’un vice d’origine empêchant sa formation). Le plus souvent, on allèguera d’un motif largement interprété selon lequel les époux n’avaient pas, au moment de la célébration de l’union, la maturité nécessaire pour comprendre les effets du mariage. Même si dans le mariage grec-orthodoxe, le principe du divorce n’est pas rejeté, il est soumis à certaines conditions qui ont été renforcées ces dernières années. Il en résulte que les femmes -comme les hommes d’ailleurs- sont forcées soit de supporter une vie conjugale qui ne les satisfait plus, soit de recourir à diverses fraudes pour sortir des liens du mariage, et cela moyennant versement d’espèces occultes et cela dans le seul cas où elles disposeraient d’une autonomie financière suffisante. En effet, le fait que les décisions judiciaires relevant du statut personnel ne soient pas publiées, que ceux qui s’y connaissent soient des avocats spécialisés dans telle ou telle communauté (en raison de rapports d’appartenance, de proximité ou autres moins avouables), que les trafics d’influence et la corruption soient, semble-t-il, fréquents, rendent les procédures obscures et la prévisibilité des décisions aléatoire. Bien entendu, les femmes sont les premières à subir les effets désastreux de cet état de fait, sans compter les aléas en matière de garde des enfants mineurs (accordée parfois au père) et de versement de la pension alimentaire. 

Notons, à cet égard, le préjudice que subissent les femmes séparées de leur époux actuellement du fait de l’effondrement de la monnaie nationale et de la position des tribunaux consistant –d’ailleurs dans toutes les matières et pour toutes les obligations financières- à se cantonner jusque là au taux officiel de 1500LL pour 1$ sans réactualisation, ce qui empêche les femmes de subvenir à leurs besoins les plus élémentaires, et cela malgré des décisions isolées courageuses émanant de juges civils imposant la réévaluation à la hausse des pensions alimentaires.

 

 

2. Vie publique

 

 

2.1. Nationalité : L’impossibilité pour la femme libanaise mariée à un étranger de transmettre sa nationalité à ses enfants (ou même à son mari étranger) 

Cette discrimination prévue par l’Arrêté 15S du 19 janvier 1925 fait l’objet de campagnes aussi acharnées que dénuées d’effets jusqu’à présent, les prétextes invoqués relevant de motifs plus sociopolitiques que juridiques. En effet, on évoque souvent la nécessité d’empêcher les femmes libanaises mariées à des réfugiés palestiniens -et actuellement  syriens- de  transférer leur nationalité à leur époux et à leurs enfants, et cela sans que le Ministère de l’Intérieur ne dispose de chiffres officiels sur le nombre de ces mariages qui ne sont d’ailleurs pas tous enregistrés. D’après une étude de la sociologue Fahmyyé Charafeddine, il y aurait eu entre 1995 et 2018, 18000 mariages de libanaises avec des étrangers, dont 91,6% avec des Palestiniens. On peut légitimement se demander pourquoi les hommes libanais mariés à une étrangère peuvent, quant à eux, transmettre leur nationalité à leur épouse et à leurs enfants, sans faire courir au pays des risques politiques majeurs ! Quoi qu’il en soit, la rigueur de cette mesure est tempérée d’une part, par le libéralisme de certains juges en la matière, surtout s’agissant d’enfants dont le père étranger est décédé et qui ont toujours vécu au Liban, sans connaître le pays d’origine de leur père (Décision Swaydan du juge John Kazzi du 16 juin 2009). Elle est tempérée d’autre part, par la décision prise par la Sûreté Générale d’accorder à ces enfants des permis de séjour dits « de courtoisie » gratuits et renouvelables, et cela pour une durée de trois ans, au lieu de la durée d’un an normalement applicable aux permis de séjour au Liban, et par des propositions visant à leur accorder des droits civils sociaux non  politiques, tels le droit à l’éducation, aux soins médicaux et aux prestations sociales.

 

2.2. Education et travail 

Au niveau de l’éducation primaire, il existe un équilibre des genres, 90% des enfants des deux sexes bénéficiant de celle-ci. Cependant les rapports internationaux soulignent que plus les études sont avancées et plus il existe de disparités entre les genres. Et si le nombre de filles inscrites à l’Université dépasse celui des garçons, cette parité ne se retrouve pas sur le marché du travail et, à fortiori, dans les postes de direction et de management. Ainsi, d’après un rapport publié en 2020 par ONU Femmes, seulement 29,6% des Libanaises participent à l’économie, contre 70.4% d’hommes, le Liban occupant la 139e place sur 156 dans le rapport mondial 2021 sur la parité entre les genres. De plus, la maternité de la femme au travail ne lui accorde, d’après le Code du Travail, ni allocations ni prestations de maternité. Cependant, on peut noter quelques avancées dans ce domaine: ainsi, en 2002, la CNSS a reconnu à la femme adhérente ayant des enfants à charge le droit de les faire bénéficier des allocations familiales. Et en 2014, le congé-maternité auparavant limité à 40 jours est passé à 10 semaines, sachant que le congé-paternité n’existe pas dans notre pays. 

Malgré cela, on ne peut que reconnaître les percées remarquables des femmes dans l’enseignement, la médecine et les métiers de la santé en général, avec des pratiques égalitaires dans les milieux urbains socioculturels moyens et supérieurs, alors que les milieux ruraux ou socioéconomiques défavorisés souffrent de davantage d’inégalités.

 

2.3. Participation politique 

Au niveau de la participation politique, et malgré l’augmentation du nombre de femmes (30%) dans le gouvernement de Hassane Diab, le pays a été classé par le dernier rapport du PNUD à la 111e position sur 153 pays concernant l’indice d’autonomisation politique des femmes, sachant que le gouvernement actuel de M. Najib Mikati ne compte qu’une seule femme sur 24 ministres. Quant au Parlement actuel, il ne compte que 6 femmes sur 128 députés. Cet état de fait a mené les associations féminines à réclamer un quota féminin, au moins à titre temporaire. C’est ainsi qu’une députée du Parti Amal et ex-ministre, Inaya Ezzeddine a présenté une proposition visant à instaurer un quota féminin de 26 sièges au Parlement, et cela par l’amendement de l’article 2 de la loi électorale de 2017. Cette proposition a été rejetée par les Commissions parlementaires sous prétexte qu’elle était controversée et qu’ils n’avaient pas le temps de l’examiner ! En réalité, les partis politiques et le leadership traditionnel sont opposés au quota féminin car d’une part, il menace leur clientélisme politique et, d’autre part, il vient se superposer de manière assez complexe aux quotas confessionnels et régionaux déjà existants. Plus généralement, la faiblesse de la représentation des femmes au niveau politique est due à divers facteurs : le système de répartition confessionnelle des sièges parlementaires qui limite forcément l’émergence des femmes, le coût non seulement officiel, mais aussi occulte des campagnes électorales et le patriarcat qui caractérise les partis politiques dans lesquels la succession au président du parti passe majoritairement à son fils aîné.

 

Conclusion

A l’heure actuelle, même si tous les citoyens libanais souffrent de la crise financière et économique, les femmes sont parmi les catégories les plus durement touchées : droits à la santé les plus élémentaires bafoués avec des difficultés notamment à s’assurer des moyens de contraception et à effectuer les examens de routine annuels, licenciements et chômage, surtout dans le secteur bancaire où elles sont professionnellement très actives, tensions au sein de la famille générant souvent en violences à leur égard ou, au mieux, à une mainmise paternaliste sur leurs décisions, sous prétexte de protection paternaliste, et cela à l’heure où une accumulation de crises et de soucis pressants de survie ont fait reculer au second plan la lutte pour leurs droits, etc.

La révolution politique et citoyenne d’octobre 2019, malgré les déconvenues internes et externes dont elle a pu souffrir, sera-t-elle aussi une opportunité pour les femmes de lever les obstacles, de changer les mentalités et les pesanteurs traditionnelles et de mettre fin aux discriminations juridiques et sociales qui entravent leur liberté, leur développement et leur place dans la société et la Nation ?